Le secret des coteaux : voyage au cœur de la typicité des vins de Saint-Émilion

31 octobre 2025

Un vignoble de collines : les chiffres clés

Saint-Émilion s’étend sur près de 5400 hectares, mais ce n’est pas une plaine monotone : plus d’un tiers du vignoble s’appuie sur des pentes, principalement sur les coteaux orientés sud et sud-est. Les altitudes vont de 3 à 97 mètres, la plupart des grands crus se trouvant entre 30 et 80 mètres. (Saint-Émilion Tourisme)

  • Surface totale de Saint-Émilion : ~5 400 ha
  • Surface située sur des pentes (coteaux) : ~1 900 ha
  • Altitude moyenne des coteaux : 45 à 80 m
  • Inclinaison des pentes : jusqu’à 7 %

Un relief aussi découpé constitue une rareté dans le Bordelais, plus connu pour la platitude du Médoc ou les ondulations douces des Graves. Ici, le paysage forme une succession de terrasses naturelles, dont chaque orientation, chaque promontoire, chaque repli joue un rôle…

Comprendre les coteaux : géologie, lumière et circulation d’air

Des sols qui sculptent le vin

Les coteaux concentrent un patchwork de sols : calcaire à astéries, argiles profondes, molasses du Fronsadais, sables sur gravières… Sur les pentes, le sol est souvent plus maigre, caillouteux, avec un drainage naturel accéléré par la gravité. Ce sont souvent des terres où la vigne doit puiser profondément pour s’alimenter.

  • Le plateau calcaire, érodé sur les versants, offre des sols où la roche affleure : ici, le stress hydrique domine, forçant la vigne à s’enraciner et limitant naturellement les rendements.
  • Les pentes argilo-calcaires conservent plus d’humidité : elles donnent des vins puissants, structurés, avec des tanins racés et une grande capacité de garde.
  • À l’inverse, le bas des côtes reçoit les limons lessivés, donnant des vins plus accessibles, fruités mais moins complexes.

Selon les études de l’INAO et des géologues comme Jacques Fanet (Les terroirs du Bordelais), ce sont justement sur les coteaux argilo-calcaires que l’on trouve la plus forte diversité de microclimats et de nuances, expliquant la fascination qu’exercent leurs vins.

L’exposition : toute une palette lumineuse

Les pentes orientées sud ou sud-est, très recherchées, bénéficient d’une lumière généreuse et homogène. La vigne profite de longues heures d’ensoleillement, le matin notamment, ce qui favorise une photosynthèse active et un mûrissement lent, échelonné. Les nuits restent fraîches : un contraste thermique bénéfique pour la préservation de l’acidité et la finesse aromatique. Sur les expositions nord, plus rares, le vin prend un visage plus souple, une maturité plus tardive, ce qui peut être un atout certaines années chaudes.

Des brises qui protègent et affinent

Les coteaux profitent de courants d’air naturels : ce mouvement, plus marqué que dans les fonds de vallée, sèche le feuillage dès la rosée et limite les maladies cryptogamiques. Moins d’humidité, moins de pourriture : c’est un atout, surtout lors des vendanges tardives.

Autre effet : le vent affine les pellicules du raisin, donnant des jus moins dilués, plus concentrés. Dans les grands millésimes, ce phénomène est précieux pour canaliser la puissance du merlot, cépage majoritaire à Saint-Émilion (62 % des surfaces selon l’ODG Saint-Émilion).

Le travail de la vigne sur les pentes : un défi quotidien

Cultiver la vigne sur les coteaux, c’est affronter au quotidien des pentes qui ne se laissent pas dompter. Le travail mécanique s’avère plus difficile : peu de tracteurs, beaucoup de tâches encore réalisées à la main, y compris la vendange.

  • Vendanges manuelles plus fréquentes : sur les pentes raides (ex : Côte Pavie), le ramassage reste artisanal, favorisant une sélection stricte des raisins.
  • Travail du sol délicat : pour limiter l’érosion, on maintient un couvert végétal naturel ou semé sur de nombreux domaines.
  • Coût d’exploitation plus élevé : jusqu’à 30 % de plus sur certaines parcelles (Terre de Vins).

Ce labeur patient confère aux vins une part de ce que l’on nomme parfois leur “âme” : ici, la main de l’homme façonne la nature du terroir autant qu’il s’en remet à elle.

Typicité aromatique : ce que les coteaux changent dans le verre

Mais alors, comment reconnaît-on dans le verre un vin issu des pentes ? Le parcours sensoriel réserve des surprises.

Des vins à la fois intenses et ciselés

  • Structure tanique : les sols maigres et le stress hydrique offrent des tanins fermes, veloutés après vieillissement, jamais mous. Ce sont des vins bâtis pour la garde : Château Pavie-Macquin ou Larcis Ducasse en sont les archétypes.
  • Fraîcheur et tension : sur calcaire, l’acidité naturelle reste plus élevée : elle apporte nervosité et précision, même sur des années chaudes (cf. 2015, 2016).
  • Complexité aromatique : fruits noirs (cassis, mûre) mais aussi notes de violette, graphite, et parfois de menthe poivrée s’invitent au bouquet – signatures du terroir de côte.
  • Longueur et salinité : certains dégustateurs y trouvent une sorte de “salinité” minérale en finale, que l’on retrouve rarement sur les plaines.

D’après une étude de l’IFV Bordeaux-Aquitaine (2020), les crus situés sur les secteurs les plus pentus présentent systématiquement une acidité titrable supérieure de 0,3 à 0,5 g/L, et des indices de polyphénols totaux majorés de 9 à 15 % par rapport aux même cépages plantés sur les bas-côtes ou en plaine.

La magie du vieillissement

L’effet coteau ne s’arrête pas à la prime jeunesse : ces vins traversent le temps avec une grâce particulière. Les tanins issus du calcaire et le niveau d’acidité préservent la fraîcheur : certains millésimes de côte (Château Ausone 1982, Château Laroque 1964) offrent après des décennies une verticalité et une énergie que les vins des sables, plus ronds, ne conservent pas toujours.

Coteaux et microclimats : un jeu d’infinies nuances

Saint-Émilion n’est pas une : c’est mille visages. Les coteaux, par leur diversité de pentes et d’expositions, créent ce que les géographes nomment des “microclimats”. À seulement quelques mètres, la maturité évolue, la composition des baies aussi.

  • Sur la côte de Saint-Émilion (autour de la ville), des parcelles imbriquent calcaire dur et veines d’argile : d’un rang à l’autre, la concentration du merlot change.
  • Plus à l’est, la côte de Saint-Christophe-des-Bardes varie en exposition, donnant des vins plus épicés et parfois légèrement plus frais, cueillis 3 à 6 jours après le plateau.
  • Dans les premiers recoins de la côte de Pavie, la vigne perçoit l’effet de “parapluie” des haies et forêts voisines : moins de chaleur l’après-midi, raisin préservé du stress thermique extrême, un atout pour l’équilibre.

Ces nuances expliquent aussi la persistance de l’assemblage, art majeur du Bordelais : un grand cru jouera astucieusement sur la complémentarité de ses différentes pentes pour façonner l’équilibre du vin final.

Anecdotes et repères historiques : les coteaux à travers le temps

  • La première mention de “vins des pentes” de Saint-Émilion remonte au XV siècle, dans les archives de la Jurade, qui tenait déjà pour supérieure la qualité des crus issus des hauteurs.
  • Phylloxéra (fin XIX) : les premières vignes replantées sur les coteaux, moins touchées que celles en plaine, ont permis de préserver certains porte-greffes anciens et rares.
  • En 1999, l’UNESCO a reconnu le “paysage de coteaux de Saint-Émilion” comme patrimoine mondial, saluant l’harmonie entre activité humaine et relief naturel

Perspectives et enjeux contemporains

Alors que le climat se réchauffe, les coteaux pourraient bien devenir l’eldorado du futur à Saint-Émilion. Leur fraîcheur naturelle aide à supporter les étés caniculaires, tandis que la diversité de sols permet à la vigne de puiser de l’eau en profondeur lors des sécheresses. De plus en plus de vignerons réhabilitent de petites terrasses ou renaturent les pentes délaissées dans les années 1960-80.

  • Climats extrêmes : dans les millésimes très chauds (2003, 2018, 2022), les vins issus des pentes exposées nord ou sur le haut des coteaux se sont révélés plus frais et mieux équilibrés (données ODG Saint-Émilion, 2023).
  • Réapparition de cultures mixtes : certains domaines replongent dans la polyculture, plantant arbres fruitiers ou haies sur les pentes pour booster la biodiversité et la résilience du terroir.

L’esprit des pentes : pourquoi les amateurs recherchent-ils les vins de coteaux ?

Choisir un vin issu d’une parcelle de coteaux, ce n’est pas seulement une question de prestige ou de classement. C’est entrer dans une logique de goût : rechercher la fraîcheur, l’énergie, la complexité, mais aussi la signature d’un terroir que la main de l’homme ne peut ni imiter ni reproduire ailleurs. Du verre au paysage, chaque gorgée est un dialogue avec la côte, ses vents, ses lumières, son histoire. Un plaisir à la fois exigeant et vivant.

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